Les arguments a priori et les arguments a posteriori
Je présente ici la distinction classique entre arguments a priori et arguments a posteriori car j'en aurais besoin dans ma présentation générale des arguments cosmologiques.
Si vous avez peur des mots compliqués, je vous conseille de lire lire d’abord si besoin ces deux articles (ici et ici) qui expliquent les principaux mots et expressions compliqués liés aux arguments (une introduction facile à la logique).
Dernière mise à jour le 27/11/2023 : Ajout des définitions de Lydia Jaeger (Une foi, des arguments. Apologétique pour tous).
Origine de la distinction
On peut faire remonter la distinction entre arguments a priori et arguments a posteriori très loin jusqu’à Aristote. Elle a été utilisée par les philosophes depuis fort longtemps et souvent reformulée dans leurs propres termes, par exemple Hume et Kant.
Utilité de cette distinction
On l’utilise beaucoup dans la philosophie analytique, et notamment en philosophie de la religion. Je la présente donc ici car j’en aurais besoin plus tard dans ma série pour présenter les arguments cosmologiques en faveur du théisme en général.
En guise de mise en bouche : beaucoup de gens affirment que les arguments ontologiques sont a priori et les cosmologiques (et quasiment tous les autres) sont a posteriori, ce qui serait la principale différente entre les deux. Mais j’espère montrer plus tard que les choses ne sont pas aussi simples…
Définitions
Voici des définitions que je propose (je me suis inspiré de celles de William Rowe1 et et je cite celles de Lydia Jaeger que je trouve très claires en français) :
Un argument a posteriori est un argument qui contient au moins une proposition a posteriori comme prémisse.
Une proposition est a posteriori si on ne peut la connaître que par l’expérience du monde (l’observation par nos sens : voir, sentir, toucher quelque chose, etc.). Par exemple : “Le coq de ma voisine crie tous les jours à 6h du matin.” car je ne peux le savoir que si je l’ai d’abord vu et entendu et “Les pigeons sont gris".” car je ne peux le savoir que si j’en ai d’abord vus.
“A posteriori se rapporte à ce qui part des données de l’expérience.”2
Par opposition, un argument a priori ne contient que des propositions a priori comme prémisses
Une proposition est a priori si on peut la connaître indépendamment de notre expérience du monde. Par exemple, “Les célibataires ne sont pas mariés.” car par je peux le savoir directement d’après la définition de célibataire “quelqu’un qui n’est pas en couple”, il ne peut donc pas être marié et “Le tout est plus grand que la parti". Autre exemple, “Tous les grands-pères sont des garçons.” car encore une fois, c’est vrai par définition.
“A priori évoque ce qui est antérieur à l’expérience, c’est-à-dire ce qui ne dépend pas des informations que nous recevons par les sens, par la perception, ou que nous obtenons en comparant plusieurs données de la perception.”3
Bien sûr, certaines propositions sont polémiques : tout le monde n’est pas d’accord pour dire si elles sont a priori ou a posteriori (par exemple “Je sais que j’existe.”). Ou alors, il faut préciser rigoureusement les termes utilisés.
Attention : on parle de justification d’arguments/de propositions, pas de la manière d’acquérir des concepts
Attention ! La distinction a priori et a posteriori s’applique (au moins principalement) à la justification de nos connaissances (justifier nos arguments et nos propositions)4 et non pas à la manière selon laquelle on acquiert nos concepts/nos idées (comment j’arrive à savoir ce qu’est un chien, un arbre, un chanteur de k-pop).
Autrement dit, elle se situe non pas au niveau des concepts/idées mais plutôt au niveau des propositions (qui relient plusieurs concepts dans une phrase) et des arguments (qui relient plusieurs propositions pour prouver un conclusion à partir de prémisses).
Par exemple, “Tous les grands-pères sont des garçons.” comme on l’a vu est bien une proposition a priori (niveau des propositions) car vraie par définition de grand-père qui inclut la notion de garçon. Mais il bien sûr correct de dire (niveau des concepts/idées) qu’on acquiert l’idée (générale) d’un grand-père grâce à notre expérience : on voit ou on a connu nos grands-pères, on a vu le grand-père de nos amis, etc. De même pour la notion de garçon : on l’acquiert car on a vu plein de garçons : notre père, notre frère, notre oncle, nos amis, nos collègues, des gens dans la rue, etc.
Pour aller plus loin
On peut comme d’habitude consulter les deux encyclopédies gratuites sur internet qui font autorité et la partie pertinente de la meilleure introduction à l’épistémologie :
L’entrée A Priori and A Posteriori de l’encyclopédie gratuite sur internet The Internet Encyclopedia of Philosophy
L’entrée A Priori Justification and Knowledge de l’encyclopédie gratuite sur internet The Stanford Encyclopedia of Philosophy
Understanding Knowledge de Michael Huemer : Section 7.1.2. Empirical vs. A Priori Knowledge.
An a posteriori argument depends on a principle or premise that can be known only by means of our experience of the world. An a priori argument, on the other hand, purports to rest on principles all of which can be known independently of our experience of the world, by just reflecting on and understanding them. (ROWE, William, Philosophy of Religion. An introduction, p. 19)
JAEGER, Lydia, Une foi des arguments. Apologétique pour tous, p. 216.
Ibid.
Cela correspond à ce qu’on appelle traditionnellement la deuxième et la troisième opérations de l’intelligence : le jugement (formuler des propositions) et le raisonnement (créer des arguments).