Introduction aux arguments cosmologiques
Introduction aux arguments cosmologiques : ils partent en gros de quelque chose de fini ou limité (un objet ou plusieurs, l'univers, le multivers ou le plurivers) pour prouver que Dieu existe.
Dernière mises à jour le 04/06/2024 : Ajout d’un paragraphe d’un article d’Alexander Pruss “Some Recent Progress on the Cosmological Argument”, dans la meilleure définition des arguments cosmologiques
27/11/2023 : Ajout d’un paragraphe sur comment les arguments cosmologiques et les arguments téléologiques se complètent l’un l’autre ; inspiré des notes d’un cours de Rob Koons (LECTURE #2: Introduction to the Cosmological Argument) sur le théisme occidental donné en 1998.
Les arguments cosmologiques (notons-les AC1) en faveur de l’existence de Dieu font partie des arguments les plus connus et sont réputés pour être les plus “puissants”. Ils comptent parmi leurs défenseurs de grands philosophes comme Aristote, Descartes, Leibniz, Samuel Clarke, Avicenne, Averroès, Maïmonide, Thomas d’Aquin et Duns Scot et parmi leurs farouches opposants d’autres comme Hume, Kant, Schopenhauer et Bertrand Russell.
Encore aujourd’hui, ils ont toujours leur lot de philosophes qui les défendent avec vigueur et rigueur. Par exemple, Alexander Pruss, Rob Koons, Timothy O’Connor, Joshua Rasmussen, Kenneth Pearce, Edward Feser et Andrew Loke chez les anglo-saxons, Frédéric Guillaud et Matthieu Lavagna chez nous en France. Pour des opposants contemporains : Paul Edwards, J. L. Mackie, J. H. Sobel, William Rowe, Graham Oppy et Joe Schmid.
Ils sont bien sûr comme tout autre sujet lié à l’existence de Dieu un sujet d’étude universitaire sérieux2 dans le domaine de la philosophie appelé philosophie de la religion (analytique).
Plan et but de l’article
Mon but dans cet article ne sera pas de donner une introduction complète sur les AC mais de donner au moins une vague idée de ce qu’ils sont. Surtout de donner une définition claire et de les démarquer précisément des autres types d’arguments traditionnels comme les arguments téléologiques, les arguments ontologiques et les arguments moraux par exemple. Car je pense que c’est en voyant ce que les AC ont de différent qu’on comprend réellement leurs points communs et donc ce qui fait leur spécificité.
Je réserve donc d’autres articles pour les disséquer plus en détails : histoire des AC, la véritable “puissance”, les différentes étapes d’un AC, les différents types (ou familles) d’AC, etc, avant de rentrer dans les arguments de la contingence qui m’intéressent particulièrement.
Nous verrons premièrement rapidement que dans l’absolu, l’expression argument cosmologique au singulier en soi ne veut rien dire (il n’y a pas un seul et unique argument cosmologique) mais qu’il faut plutôt parler d’une famille d’arguments.
Deuxièmement, je proposerai quelques exemples d’AC pour rentrer directement dans quelque chose de concret et donc pour vous motiver.
Troisièmement, on s’intéressera à l’origine étymologique de l’expression argument cosmologique.
Quatrièmement, nous ferons le tour des définitions (ou a minima des descriptions) que j’estime être inexactes ou plutôt le plus souvent incomplètes (qu’on rencontre pour autant dans les écrits universitaires).
Cinquièmement, je donnerai ce que je pense être une définition enfin assez générale pour regrouper tous (ou quasiment) les AC.
Sixièmement, nous examinerons les différences des CA avec les autres principales familles d’arguments théistes (téléologiques, ontologiques et moraux) : comprendre ce que les CA ne sont pas permettra de comprendre ce qu’ils sont.
Septièmement, nous verrons les (différents niveaux de) prétentions des AC.
Huitièmement, nous ferons attention à distinguer le champ d’étude des AC, la philosophie et la métaphysique d’avec la cosmologie, une matière scientifique.
I. L’argument cosmologique : une famille d’arguments
Il en existe différentes familles et énormément de versions. Par conséquent, quand on parle de “l’argument cosmologique”, on sous-entend en réalité qu’il y en a plein derrière :
L’argument cosmologique (AC) est en réalité un ensemble d’arguments apparentés qui a eu une longue histoire. [...] Il est important de noter qu’il existe une grande variété d’arguments cosmologiques pour l’existence de Dieu.
DAVIS, Stephen T., “The Cosmological Argument”, God, Reason & Theistic Proofs, chap. 4., SCHMITT, Yann (trad.) in MICHON, Cyrille & POUIVET, Cyrille (dir.), Philosophie de la religion. Dieu, le mal, la croyance., pp 116-137.
Il y a [...] plusieurs arguments cosmologiques distincts les uns des autres.
MASSON, Alexis, “Les arguments cosmologiques : Dieu comme cause de l’univers”, in JAEGER, Lydia (dir.), La science est pour Dieu. Nouveaux arguments scientifiques pour la foi, p. 39.
L’argument cosmologique existe sous différentes formes qui varient en fonction de l’aspect du monde (pris dans son ensemble) qu’elles font intervenir.
JAEGER, Lydia, “L’argument cosmologique” in JAEGER, Lydia & NISUS, Alain (dir.), Une foi des arguments. Apologétique pour tous, p. 216.
The cosmological argument is less a particular argument than an argument type.
REICHENBACH, Bruce, "Cosmological Argument" in ZALTA, Edward N. & NODELMAN, Uri (dir.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Winter 2023 Edition).
From the above, it should be clear that no single argument can lay claim to being the Cosmological Argument. The Cosmological Argument represents a family of arguments
ROWE, William L., The Cosmological Argument, p. 8.
The cosmological argument, taken in its larger context, is not so much a particular argument as an argument type. That is, the cosmological argument is most properly viewed as a general pattern of argumentation with several different possible substitutions for the first factual premise or step.
REICHENBACH, Bruce, The Cosmological Argument. A Reassessment, p. 4.
C’est pourquoi il est regrettable que beaucoup de gens, y compris des spécialistes, parlent de l’argument cosmologique comme s’il n’y avait qu’un. C’est même le cas de Kant lorsqu’il critique la preuve cosmologique dans sa Critique de la raison pure. Souvent, ils réfutent sous ce nom une version, puis pensent avoir fini alors qu’il y a de nombreuses autres versions qui tiennent indépendamment de celle qu’ils ont réfutée.
II. Quelques exemples d’arguments cosmologiques
Voici quelques exemples d’arguments cosmologiques. D’abord une version de l’argument cosmologique du kalam (la version la plus populaire, celle William Lane Craig) :
Tout ce qui a commencé à exister a une cause.
L’univers a commencé à exister.
Par conséquent, l’univers a une cause3.
CRAIG, William Lane, Foi raisonnable, pp. 156-157.
L’argument original d’Andrew Loke, un “kalam thomiste”, une fusion du kalam et de la première/deuxième voie de Thomas d’Aquin (ce qu’il appelle The New Kalam-Thomist Cosmological Argument) :
There exist entities that: (i) are members of a causal series; and (ii) begin to exist.
Everything that begins to exist has a cause.
If there is an entity that: (i) is a member of a causal series; and (ii) begins to exist, then there is an uncaused entity X.
There exists an X which is uncaused and beginningless (From 1, 2 and 3).
If X is uncaused and beginningless, nothing exists prior to it, and therefore it is a First Cause.
X is a First Cause (From 4 and 5).
LOKE, Andrew, God and Ultimate Origins: A Novel Cosmological Argument, pp. 93-94.
Une version de l’argument cosmologique de la contingence de Leibniz (encore une version de William Lane Craig) :
Tout ce qui existe a une explication de son existence, soit par une nécessité inhérente à sa nature, soit par une cause externe.
Si l’univers a une explication de son existence, elle réside en Dieu.
L’univers existe.
En conséquence, l’explication de l’univers a une explication (à partir de 1 et 3)
En conséquence, l’explication de l’univers réside en Dieu (à partir de 2 et 4).
CRAIG, William Lane, Foi raisonnable, pp. 150-151.
Une autre version de l’argument de la contingence de Leibniz, ici de Joshua Ramussen :
Something exists.
If everything is contingent, then there is no external explanation of the contingent things (of why there are the contingent things there are).
There is an external explanation of the contingent things.
Therefore, not everything is contingent. (from 2 and 3)
Therefore, something is non-contingent. (from 1 and 4)
Therefore, something has necessary existence.
RASMUSSEN, Joshua, “The Argument from Contingency”, in RULOFF, Colin & HORBAN, Peter, Contemporary Arguments in Natural Theology, p. 20.
Et encore une autre de ses versions :
P1. Something exists.
P2. For any contingent (non-necessary) things, there is a causal foundation of
their existence.
P3. Without a necessary foundation, there is no causal foundation of the
existence of all the contingent things.
C. Therefore, there is a necessary foundation.
RASMUSSEN, Joshua & LEON, Felipe, Is God the Best Explanation of Things ?, p. 13.
Et enfin il y a les première et deuxième voies de Thomas d’Aquin (qui existent elles-aussi sous de nombreuses versions) que je ne reproduirai pas ici par manque de place.
Mais quel est leur point commun ? Quelle est la définition d’un AC ? Après des questionnements, j’ai l’impression que les choses ne sont pas si claires que ça, qu’il est difficile de dire précisément tout ce qui les regroupe. Quasiment tous les philosophes qui traitent des arguments cosmologiques (peu importe la ou les versions abordées) donnent une définition “baclée” (sur même pas trois lignes) puis foncent directement les défendre ou les réfuter. Je vais donc essayer de combler humblement ce gros trou béant dans la littérature.
III. L’origine étymologique de “argument cosmologique
Dans l’expression argument cosmologique :
On trouve cosmologique où il y a le préfixe cosmo-, qui vient du grec cosmos (κόσμος4) qui signifie l’univers, en particulier ordonné et pas chaotique. L’univers, c’est en gros dans notre usage courant, le regroupement de tout ce qui existe (les galaxies, les chiens, les écureuils, les roses, les cerisiers).
On trouve aussi le suffixe -logique qui vient aussi du grec logos (λόγος5) qui signifie le discours rationnel. Pris au sens littéral, l’argument cosmologique consiste à donner un discours rationnel sur le cosmos, en un autre mot, sur l’univers. Dans notre contexte philosophique, donner un discours rationnel sur l’univers, ça voudra dire chercher son explication ou sa cause ultime. Pour les théistes, ce sera bien sûr Dieu.
Il est effectivement vrai que de nombreux arguments cosmologiques partent de l’univers (en tant qu’ensemble de toutes les choses) pour arriver à Dieu. Par exemple, comme on le verra certaines formulations de l’argument du kalam et de l’argument de la contingence de Leibniz.
Cependant, ce n’est pas toujours le cas. il y en a de nombreux autres qui ne partent pas de l’univers mais plutôt soit d’une partie de l’univers (en gros juste d’un certain type de choses dans l’univers), soit d’une chose individuelle (comme moi, un sapin, un écureuil, etc.). Par exemple, l’argument de Barry Miller qui part juste de n’importe quelle chose individuelle qui existe (il prend l’exemple d’un chien qui s’appelle Fido), les deux premières voies de Thomas d’Aquin et certaines versions de l’argument de la contingence de Leibniz.
On verra dans la “bonne” définition des AC que ces derniers ont tous en commun de partir de propriétés fondamentales que partagent tous les objets de l’univers (ou au moins un très grand nombre). Il est donc quand même légitime dans un sens de dire que tous les AC prennent l’univers comme point de départ si l’on précise bien qu’on veut parler des propriétés fondamentales de l’univers (ou formulé ainsi par Lydia Jaeger “d’un aspect du monde (pris dans son ensemble)”)6.
IV. Un petit tour des définitions inexactes ou incomplètes
A. Les arguments cosmologiques partent de l’univers (sous-entendu comme un tout)
C’est la description des arguments cosmologiques qu’on retrouve quasiment partout :
Les arguments cosmologiques visent à prouver l’existence de Dieu à partir de l’existence de l’univers. [...] L’idée centrale des arguments cosmologiques est que l’existence de l’univers est un fait qui exige une explication : il implique l’existence d’une cause divine.
MASSON, Alexis, “Les arguments cosmologiques : Dieu comme cause de l’univers”, in JAEGER, Lydia (dir.), La science est pour Dieu. Nouveaux arguments scientifiques pour la foi, p. 39.
What exactly constitutes a cosmological argument? Probably the best definition is that the cosmological argument is an a posteriori argument for a cause or reason for the cosmos.
CRAIG, William Lane, The Cosmological Argument from Plato to Leibniz, pp. x.
Within philosophy of religion, a cosmological argument is understood to be an argument from the existence of the world to the existence of God.
ROWE, William L., "Cosmological Arguments" dans TALIAFERRO, Charles, DRAPER, Paul & QUINN, Philip L. (dir.), A Companion to Philosophy of Religion, Blackwell Companions to Philosophy (Second Edition), p. 368.
It uses a general pattern of argumentation (logos) that makes an inference from particular alleged facts about the universe (cosmos) to the existence of a unique being, generally identified with or referred to as God.
REICHENBACH, Bruce, "Cosmological Argument" in ZALTA, Edward N. & NODELMAN, Uri (dir.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Winter 2023 Edition).
Cosmological arguments begin by examining some empirical or metaphysical fact of the universe, from which it then follows that something outside the universe must have caused it to exist.
MEISTER, Chad, "Philosophy of Religion", in FIESER, James & DOWDEN, Bradley (dir.) The Internet Encyclopedia of Philosophy.
Cette caractérisation est incomplète toujours pour la même raison que celle que j’ai donnée ci-dessus (voir la partie sur l’étymologie). Bien que beaucoup d’AC partent de l’univers comme un ensemble/un tout (certaines versions des arguments du kalam et de la contingence), beaucoup d’autres partent plutôt d’un groupe restreint de choses ou même d’une seule chose individuelle (souvent par un quantificateur universel comme “Tous les X sont Y.”).
Encore une fois, c’est le cas par exemple de l’argument de Barry Miller qui part juste de n’importe quelle chose individuelle qui existe (il prend l’exemple d’un chien qui s’appelle Fido), des deux premières voies de Thomas d’Aquin, de certaines versions de l’argument de la contingence de Leibniz et de l’argument du kalam.
B. Les arguments cosmologiques partent de (la propriété de) l’existence des choses
Les arguments cosmologiques visent à prouver l’existence de Dieu à partir de l’existence de l’univers. [...] L’idée centrale des arguments cosmologiques est que l’existence de l’univers est un fait qui exige une explication : il implique l’existence d’une cause divine.
MASSON, Alexis, “Les arguments cosmologiques : Dieu comme cause de l’univers”, in JAEGER, Lydia (dir.), La science est pour Dieu. Nouveaux arguments scientifiques pour la foi, p. 39.
Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? L’argument cosmologique prend appui sur cette question fondamentale que les hommes se posent, et il la transforme en argument théiste. De l’existence du monde, il conclut à la cause transcendant le monde.
JAEGER, Lydia, “L’argument cosmologique” in JAEGER, Lydia & NISUS, Alain (dir.), Une foi des arguments. Apologétique pour tous, p. 216.
Within philosophy of religion, a cosmological argument is understood to be an argument from the existence of the world to the existence of God.
ROWE, William L., "Cosmological Arguments" dans TALIAFERRO, Charles, DRAPER, Paul & QUINN, Philip L. (dir.), A Companion to Philosophy of Religion, Blackwell Companions to Philosophy (Second Edition), p. 368.
Cosmological arguments begin by examining some empirical or metaphysical fact of the universe, from which it then follows that something outside the universe must have caused it to exist.
MEISTER, Chad, "Philosophy of Religion", in FIESER, James & DOWDEN, Bradley (dir.) The Internet Encyclopedia of Philosophy.
Comme le dit William Lane Craig, les AC ne partent pas tous de la propriété de l’existence du monde, mais aussi parfois de propriétés plus spécifique ou différentes comme le changement/mouvement (le fait de changer) :
Most versions of the cosmological argument and certainly all of the modern ones attempt to account for the existence of the world. But the prime mover arguments do not seek a cause of the world's existence, but a cause of the world's being a cosmos, usually by positing an astronomical system of spheres set in motion by the prime mover.
CRAIG, William Lane, The Cosmological Argument from Plato to Leibniz, pp. x.
C’est le cas surtout pour de nombreuses versions7 de la fameuse voie de Thomas d’Aquin aussi appelé de l’argument aristotélicien.
C. Les arguments cosmologiques utilisent le principe de causalité
Cosmological arguments are based upon the notion of causation.
RUTTEN, Emmanuel, A Critical Assessment of Contemporary Cosmological Arguments. Towards a Renewed Case for Theism, p. 9.
Dire que les AC ont tous en commun de partir de la causalité pour arriver à Dieu fait polémique car des défenseurs de certains AC refusent de qualifier Dieu de cause. Ils préfèrent utiliser d’autres termes. Soit les termes de la métaphysique analytique contemporaine comme ground et grounding (issu de la philosophie analytique), voir Kenneth Pearce. Soit les termes de raison (suffisante) ou explication, venus de Leibniz qui pour certains interprètes renvoient à quelque cause de “non-causal”. C’est le cas parce qu’il existe à la fois des interprétations causales et interprétations non-causales de l’argument de la contingence de Leibniz.
Dit autrement, savoir si dire que “tous les AC partent de la causalité” est correct ou non dépendra de ce qu’on veut dire par cause, raison et explication, et aussi de comment on relie le principe de causalité (sous-entendu qui traite des causes efficientes, comment une cause produit son effet) et le principe de raison suffisante. Tant de questions difficiles qui sont soit pas du tout ou très peu traitées, soit polémiques comme je l’ai expliqué ici.
Donc au pire, cette définition est incomplète, au mieux, elle n’est pas la plus claire (à cause du manque de consensus des spécialistes). Je pense qu’on peut faire mieux en donnant une description plus générale et qui n’entre pas dans toutes ces controverses, qui ont l’air parfois un peu “tirées par les cheveux”.
D. Les arguments cosmologiques sont déductifs
The Cosmological Argument [...] is a deductive argument; its premises, if true, may establish the truth of its conclusion.
ROWE, William L., The Cosmological Argument, Fordham University Press, 1998, p. 4.
Pour faire simple, quand Rowe dit que les AC sont déductifs, ça veut dire qu’ils prétendent permettre de connaître leur conclusion avec certitude (on est sûr à 100 % que c’est vrai). Les arguments inductifs, au contraire, ne permettent que de connaître des choses de façon probable (ex : avec 95 %, 50 % de chance d’avoir raison). Enfin, on a les arguments abductifs (aussi appelés inférences à la meilleure explication) qui ont pour but de prouver qu’une conclusion parmi d’autres est la meilleure explication à un ensemble d’informations.
Il est vrai que quasiment toutes les versions traditionnelles de l’AC, (c’est-à-dire formulées durant l’Antiquité, le Moyen-Âge et la période moderne) sont déductives. Pourtant, depuis au moins le XXème siècle, beaucoup de versions inductives ou abductives ont été inventées. Voir par exemple la version inductive de Richard Swinburne et la version abductive de Joshua Rasmussen dans RASMUSSEN, Joshua & LEON, Felipe, Is God the Best Explanation of Things ?, pp. 8-13.
E. Les arguments cosmologiques sont a posteriori
D’après beaucoup aussi, les AC sont forcément a posteriori : ce serait notamment ce qui les distingue avec les arguments téléologiques des arguments ontologiques :
Il est important de noter qu’il existe une grande variété d’arguments cosmologiques pour l’existence de Dieu. Néanmoins, ce sont tous des arguments a posteriori ; c’est-à-dire qu'ils cherchent à argumenter en faveur de l’existence de Dieu sur la base de ce que nous connaissons par expérience, sur la base de ce que nous apprenons par nos sens.
DAVIS, Stephen T., “The Cosmological Argument”, God, Reason & Theistic Proofs, chap. 4., SCHMITT, Yann (trad.) in MICHON, Cyrille & POUIVET, Cyrille (dir.), Philosophie de la religion. Dieu, le mal, la croyance., p 116.
First, the cosmological argument is an a posteriori argument. Unlike the ontological argument, the cosmological argument always contains an existential premiss, that is, it asserts that something exists. The fact that the argument may also employ a priori principles, such as the principle of contradiction or the principle of causality, does not negate the fact that the argument as a whole is a posteriori, since its truth is dependent on the fact that something exists. Second, the cosmological argument seeks a cause or reason.
CRAIG, William Lane, The Cosmological Argument from Plato to Leibniz, p. x.
Among the differences between the two a posteriori arguments, the Cosmological and the ‘Teleological, three are worth noting.
ROWE, William L., The Cosmological Argument, Fordham University Press, 1998, p. 4.
There are many different kinds of a posteriori arguments for the existence of God. Following Kant, we shall suppose that it is possible to sort many of these arguments into two major classes: the cosmological arguments and the teleological arguments.
Oppy Graham, Arguing about Gods, New York : Cambridge University Press, 2006, 449 p, p. 97.
The cosmological argument for the existence of God begins with a posteriori arguments from the nature of the world, in contrast to the ontological argument, which begins with an a priori analysis of a concept, namely that of God [...] The cosmological argument and teleological argument begin from our experience of the everyday world, and draw inferences from these data and observations to seek to establish the reasonableness of the belief that God exists. This is an a posteriori argument. By contrast, the ontological argument for the existence of God begins from the very concept of God as God, and seeks to show that by internal logical necessity this concept carries with it divine existence or Being. This is an a priori argument.
THISELTON, Anthony, A Concise Encyclopedia of the Philosophy of Religion, p. 51 ; 116.
Pour rappel, un argument a posteriori est un argument qui contient au moins une proposition a posteriori comme prémisse, et a priori dans le cas contraire (aucune prémisse a posteriori). Une proposition est a posteriori si on ne peut la connaître que par l’expérience du monde et a priori dans le cas contraire.
C’est le sens de a posteriori/a priori qu’on retrouve dans toutes les citations au-dessus hormis celle de Craig. Ce dernier emploie l’expression a posteriori dans un sens plus large qui veut juste dire “qui nous apprend qu’une (ou plusieurs) chose(s) existe(nt)”. Pour lui, proposition a posteriori est synonyme de proposition existentielle. Mais c’est une définition qui ne convient pas car comme on va le revoir, on peut très bien défendre une proposition existentielle comme “J’existe.” (ou même “Des choses existent.” si on est idéaliste) sans faire appel à ses sens (d’une façon a priori).
Dans chaque AC, il y a deux prémisses susceptibles d’être a posteriori : une prémisse existentielle et une prémisse qui affirme un principe de dépendance. On va les analyser une par une.
1. Premier candidat pour être a posteriori : la prémisse existentielle
Les AC ont tous une prémisse qui dit en gros que des choses existent : c’est ce qu’on peut appeler leur prémisse existentielle. Par cette prémisse, la plus grande partie des AC sous-entendent implicitement que des choses physiques extérieures à nous et perceptibles par nos sens existent, comme “L’univers existe.”, “Des choses existent.”, “Il y a des êtres contingents.”, et ont donc bien une prémisse a posteriori. La plupart sont donc bel et bien des arguments a posteriori.
Pourtant, il existe des AC (ou on peut au moins en monter facilement de toute pièce) dont pourrait affirmer (ou au moins défendre) qu’ils n’ont aucune prémisse a posteriori.
Soit parce que leur prémisse existentielle est a priori. Comme par exemple “J’existe.” qui pour beaucoup de philosophes, à commencer par Descartes, est évidente par elle-même indépendamment des données des sens (“Je pense donc je suis.”). Cela suffit car mon existence considérée toute seule est déjà un fait qui demande à être expliqué. Pas besoin de partir du Big Bang ou d’autres choses hyper compliquées. De sorte qu’il y a des AC qui prétendent prouver l’existence de Dieu quand bien même la seule chose qu’on supposait, c’est que j’existe !
Soit parce que leur prémisse existentielle même plus générale que “J’existe.” comme “L’univers existe.”, “Il y a des choses contingentes.” ou “Il y a des choses en mouvement.” est interprétée dans un contexte idéaliste qui affirme que la matière n’existe pas mais que tout est esprit. De sorte qu’il y a des AC qui prétendent prouver l’existence de Dieu quand bien même la matière n’existerait pas !
C’est ce qu’explique justement Michael Almeida :
But must cosmological arguments, or successful cosmological arguments, include a posteriori premises? It is perhaps surprising that facts about change, causation, contingency, and objective becoming that figure so prominently in traditional cosmological arguments are not usefully characterized as a posteriori facts. Cosmological arguments do not necessarily include any a posteriori premises at all. There are indeed cosmological arguments that do not include a single a posteriori premise or assumption.
The proposition that I am here now is knowable a priori and so is the proposition that I exist (Kaplan, 1979). But surely a cosmological argument could start from simple a priori facts such as I am here now or I exist (Kripke, 1980: 54–56). A cosmological argument might begin with the fact that I am here now and note that this simple a priori fact requires some explanation, as indeed it does. There must be some explanation why I am here now and I am not there now. There must be some explanation why I exist rather than not exist. The facts that I am here now and that I exist require an explanation because it is a contingent fact that I am here now and a contingent fact that I exist. Some contingent facts that are eligible for explanation are knowable a priori.
ALMEIDA, Michael, Cosmological Arguments (Cambridge Elements : Elements in the Philosophy of Religion, (dir.) Yujin Nagasawa), p. 3.
2. Second candidat pour être a posteriori : le principe de dépendance
Pour encore plus compliquer les choses, chaque AC contient hormis sa prémisse existentielle, une autre prémisse pouvant être considérée a posteriori. C’est un “principe de dépendance”, en gros une proposition qui va dire que les choses qui existent d’après notre prémisse existentielle dépendent d’autres choses. C’est une version du principe de causalité (par exemple, “Tout ce qui a un commencement a une cause.”) ou du principe de raison suffisante (par exemple, “Tout ce qui existe a une raison d’être, soit en soi-même, soit en dehors de soi.”).
Ce principe de dépendance sera défendu soit par une généralisation des données des sens (par induction), dans ce cas ce sera une prémisse a posteriori d’un AC, et l’AC sera a posteriori. Ou soit par une analyse purement conceptuelle des termes employés (“cause”, “effet”, “raison”, “suffisant”, “explication”, etc.) : on va prouver ce principe par l’absurde, c’est-à-dire en montrant que si on le nie, on tombe dans une contradiction logique et donc qu’il est inévitablement vrai. Et dans ce cas ce sera une prémisse a priori d’un AC et l’AC sera a posteriori seulement si sa prémisse existentielle l’est, a priori sinon. Ou enfin des deux manières combinées, dans ce cas ce sera une prémisse a posteriori d’un AC et l’AC sera a posteriori.
Conclusion
Pour conclure, il existe à la fois des AC a posteriori (avec au moins une prémisse a posteriori) et des AC a priori (avec aucune prémisse a posteriori). Les deux ont en commun d’avoir au moins une prémisse existentielle qui affirme que quelque chose existe (elle peut être a posteriori ou a priori) et un principe de dépendance comme prémisse (il peut être a posteriori ou a priori).
V. Vers une meilleure définition des arguments cosmologiques
Pour résumer, pour moi, un argument cosmologique est un argument qui part d’une caractéristique générale, vague, fondamentale, abstraite et neutre liée à l’imperfection/la finitude/la dépendance d’un point de départ qui peut aller d’une ou plusieurs choses qui existent dans notre monde à un ensemble de tout ce qui existe (l’univers, le multivers ou le plurivers) pour prouver que Dieu existe.
Swinburne donne une définition plus courte qui y ressemble, c’est la plus correcte et la plus générale que j’ai trouvée :
Un argument cosmologique est un argument qui conclut à l’existence de Dieu à partir de l’existence d’un objet fini ou, plus spécifiquement, d’un univers physique complexe.
SWINBURNE, Richard, La probabilité du théisme, p. 187.
Nous allons décortiquer la définition que j’ai donnée. Nous verrons dans un premier temps le type, l’aspect des choses qu'étudient les AC. Puis dans un second temps la “taille” maximale (en anglais je dirai le scope) de leur point de départ (un objet, l’univers, les multivers/le multivers, les plurivers).
L’aspect des choses étudié par les arguments cosmologiques
Je vais préciser le sens des mots que j’ai utilisés :
Quand je parle d’une caractéristique fondamentale, je veux dire une propriété d’une chose de laquelle dépendent cette chose et ses autres propriétés pour exister ou faire des actions. L’existence ou exister est une caractéristique fondamentale car pour agir ou manifester une autre propriété, il faut d’abord exister. Le mouvement (ou changement) aussi car toutes les actions d’une chose supposent qu’elle puisse subir des changements : manger suppose bouger qui est un changement, réfléchir aussi, etc.
Quand je parle d’une caractéristique générale, je veux dire une propriété que possèdent toutes (ou au moins un très grand nombre) les choses qui existent dans notre monde (en particulier les choses physiques). On peut opposer les caractéristiques générales aux particulières ou spécifiques : les secondes concernent un nombre bien plus limité de choses. L’existence est une caractéristique générale car toutes les choses de notre monde la partagent : qu’elles soient petites ou grandes, vivantes ou inanimées, belles ou moches, complexes ou simples, présentant ou non des signes de finalité. Par opposition, le réglage fin des êtres-vivants (le fait qu’ils sont bien “construits” dans l’optique de survivre) est spécifique car ne concerne que les êtres-vivants. De même que la beauté des paysages qui ne concerne que les paysages.
Quand je parle d’une caractéristique vague, je veux dire une propriété qui n’est pas très précise, qui n’apporte pas beaucoup d’informations concernant une chose. L’existence est vague car quand je dis qu’une chose existe, je ne vous apprends pas grand chose. Par contre, quand je vous dis que ce paysage est beau ou que le Trex est un animal bien fait, c’est quelque chose de plus précis. Je ne dis pas juste que le paysage et le Trex existent, je dis quelque chose de plus : je leur attribue la qualité de beau/bien fait. Bien sûr, plus une caractéristique est vague, plus elle est abstraite, c’est-à-dire qu’elle est moins concrète (difficile à décrire ou percevoir par les sens).
Quand je parle d’une caractéristique neutre, je veux dire une propriété qui ne dit rien sur la qualité (bon ou mauvais dans le sens “ça marche bien” et “ça marche mal”) ou l’aspect moral (au sens de “bonne action” louable et “mauvaise action” condamnable) d’une chose. L’existence est neutre car quand je dis que Hitler existe, je ne dis rien sur sa qualité morale (s’il est gentil ou méchant). Pareil quand je dis que les animaux existent : je ne dis rien sur leur qualité (s’ils sont bien “faits” ou mal “faits”).
Ces différentes caractéristiques qu’étudient les AC montrent que les choses du monde sont imparfaites, dans le sens où elles sont finies et dépendantes. Elles sont dépendantes d’autre(s) chose(s) pour exister et pour agir. Si on prend l’existence, l’AC montrera que les choses du monde n’existent pas par elles-mêmes, mais qu’elles dépendent d’autre(s) chose(s). Si on prend le mouvement, l’AC montrera que les choses du monde ne se meuvent pas par elles-mêmes, mais qu’elles dépendent d’autre(s) chose(s) pour recevoir la puissance de se mouvoir.
Voici une liste assez complète des caractéristiques d’où partent les AC et qui correspondent à la description que j’ai donnée (général, vague, abstrait, fondamentale, neutre, pointer une imperfection) :
L’existence / exister
Le mouvement (ou le changement) / se mouvoir ou changer
La contingence / être contingent
La composition (opposé à la simplicité au sens philosophique) / être composé
Exister ou commencer à exister dans le temps
Avoir des limites
Swinburne résumé bien tout ce que j’ai essayé d’expliciter :
“Kant a intitulé “cosmologique” tout argument qui part “d’une expérience parfaitement indéterminée” ou “d’une expérience de l’existence en général”. Disons, pour préciser, que c’est un argument qui part de l’existence d’un objet fini - c’est-à-dire un objet dont les capacités, la connaissance ou la liberté sont limitées - autrement dit, de tout objet autre que Dieu.
SWINBURNE, Richard, La probabilité du théisme, p. 185.
Il est rejoint par Alexander Pruss :
The general strategy of cosmological arguments is to take a grand feature of the world, and then argue, abstracting from much of its specific content, that the best or only possible explanation is a First Cause, an entity that stands at the head of a causal chain leading to the occurrence of the existential feature.
PRUSS, Alexander R., “Some Recent Progress on the Cosmological Argument”, p. 1.
The general strategy of cosmological arguments is to take a grand feature of the world, and then argue, abstracting from much of its specific content, that the best or only possible explanation is a First Cause, an entity that stands at the head of a causal chain leading to the occurrence of the existential feature.
H. J. Paton (un philosophe kantien peu connu du XXème siècle), lui le développe très bien (c’est celui de qui je me suis inspiré pour rédiger cette partie) :
If we are unable to derive knowledge of God’s existence from the bare concept of perfection[[Il fait référence implicitement aux arguments ontologiques.]], we may perhaps hope to infer His existence from our experience of the world. But here we must distinguish between particular experiences and general experience (or experience as such). The ordinary religious man, so far as he argues at all, would probably argue to God’s existence from particular experiences of what he takes to be manifestations of a divine purpose—from the beauty of the hills, from the marvellous construction of living things, and so on. But it is possible to argue from some characteristics of all objects of experience—from a categorial characteristic, as it may be called. Thus it may be held that all objects of experience must have a cause, and therefore there must be a first or uncaused cause, to which we give the name of ‘God’.
Even if, as is often done, we begin with one particular existent thing—for example, myself—and maintain that since this must have a cause, there must be a first cause, we are not arguing from any special characteristic distinguishing this object of experience from others: we are arguing from a universal or categorial characteristic—the characteristic of being caused—which it shares with all other finite objects of experience; and we start from this particular object only because we know that it exists.
All arguments of this type are varieties of what is called the ‘cosmological’ proof: they seek to make an inference from some categorial characteristic of an experienced object or objects to the universe or cosmos as a whole, and so to the God who is its cause or ground. Because they appeal to experience, they can begin with something known to exist and thus escape the paradoxes of the ontological argument. Yet they appeal—and this is the essential point—not to a rich and full and diversified experience, but to its bare bones. The inference, so to speak, is not from the living body of experience, but only from its skeleton. Hence the cosmological argument is arid, and it may be asked whether it is worth while trying to make these dry bones live.
If the ontological proof is described as the argument from perfection, the cosmological proof may be described by contrast as the argument from imperfection. In it we have no need to struggle from a mere concept to existence; for if we begin with the imperfect, we have only too much assurance that it exists. But the imperfect must here be taken to be the incomplete, the finite, the contingent. The imperfect or contingent is what it is only because of some cause or ground beyond itself; and all objects of experience are in this sense imperfect. A perfect being, on the other hand, is supposed to be its own ground or cause; and this is why men have thought they could argue from the concept or essence of a perfect being to its existence without having recourse to anything beyond the concept itself.
PATON, H. J., The Modern Predicament: A Study in the Philosophy of Religion, pp. 192-193.
Les caractéristiques desquelles partent les AC sont si abstraites que Paton dit que c’est comme si les AC partaient non d’un corps mais plutôt d’un “squelette” ou “d’os”. Le but des AC serait justement de faire revivre ces ossements desséchés.
Le scope des arguments cosmologiques
Comme on l’a vu plus haut, il est incorrect de dire que tous les AC partent de l’univers (un ensemble de choses qui existent). L’important, c’est remarquer que les AC partent de quelque chose de fini/imparfait/limité (peu importe combien ou sa taille, un objet ou l’univers, etc.). Pourtant comme beaucoup d’AC partent de l’univers (ou de quelque chose de semblable), il est utile de faire quelques remarques sur leur scope maximal.
Partir d’un objet fini
Pour rappel, les AC peuvent très bien partir de quelque chose de tout petit, juste d’un seul objet fini :
Kant a intitulé “cosmologique” tout argument qui part “d’une expérience parfaitement indéterminée” ou “d’une expérience de l’existence en général”. Disons, pour préciser, que c’est un argument qui part de l’existence d’un objet fini - c’est-à-dire un objet dont les capacités, la connaissance ou la liberté sont limitées - autrement dit, de tout objet autre que Dieu.
SWINBURNE, Richard, La probabilité du théisme, p. 185.
Even if, as is often done, we begin with one particular existent thing—for example, myself—and maintain that since this must have a cause, there must be a first cause, we are not arguing from any special characteristic distinguishing this object of experience from others: we are arguing from a universal or categorial characteristic—the characteristic of being caused—which it shares with all other finite objects of experience; and we start from this particular object only because we know that it exists.
PATON, H. J., The Modern Predicament: A Study in the Philosophy of Religion, p. 192.
C’est le cas en particulier de tous les AC qui utilisent une prémisse du genre “Tous les X a une cause/raison/explication” (où X est n’importe objet d’un même type, par exemple X = les choses contingentes ou X = les choses en mouvement) qui désigne un ensemble de choses non pas comme un tout, mais en faisant référence à ses parties. En anglais (je ne sais pas comment traduire), on dit que c’est une prémisse qui utilise la plural quantification.
Dans ce genre de prémisses, on ne fait pas appel à un “gros tas” de toutes les choses d’un même type, mais on donne une information sur un objet quelconque individuel de ce type, et donc indirectement une information sur le type en général.
C’est comme en mathématiques quand on se sert de variables dans une proposition pour représenter un ensemble de nombres et donner une information sur tout l’ensemble. Par exemple x pour représenter les nombres réels (IR) ou n les entiers naturels.
La première et la deuxième voies de Thomas d’Aquin suivent cette stratégie et donc ne partent techniquement que d’un seul objet fini (et pas plus). On peut maintenant passer à l’échelle : l’univers.
L’univers
Les AC peuvent ensuite partir d’un cran au-dessus : prendre en considération l’ensemble des choses qui existe, l’univers. Swinburne explique bien les choses :
Cependant, d’autres arguments intitulés eux aussi cosmologiques ont pris en fait comme point de départ quelque chose de bien plus spécifique, comme l’existence d’un univers physique complexe. [...] Par univers physique, j’entends un objet physique constitué d’objets physiques reliés spatialement entre eux, et non à quelque autre objet physique. (Par “reliés spatialement entre eux”, j’entends “se trouvant à des distances données dans une direction donnée les uns des autres”). Notre univers physique, est cet objet physique qui est constitué de tous les objets physiques, comprenant la terre, les objets à sa surface, le milieu gazeux qui les sépare. [...] Par univers physique complexe, j’entends un univers constitué de nombreux objets physiques de différents volumes, formes, masses, etc.
SWINBURNE, Richard, La probabilité du théisme, pp. 185-186.
Il suffit de lire ce qu’il écrit en remplaçant ce qu’il appelle univers physique complexe par univers, car cette expression signifie juste ce que les gens appellent tous les jours univers.
On notera aussi qu’encore une fois, la taille de l’univers importe peu. Même s’il n’y avait que notre système solaire dans l’univers, ou juste notre planète, ou deux planètes, etc., les AC resteraient inchangés. Paton donne l’exemple d’un monde où seul l’enfer existerait, les AC prouveraient alors quand même l’existence d’un Dieu créateur de l’univers ici réduit à l’enfer :
If the cosmological argument holds at all, it must hold for any world in which objects are the effect of causes other than themselves. Hence it would be valid even if the only world we experienced were Hell—provided we were able to trace a relation of cause and effect between one torment and the next.
PATON, H. J., The Modern Predicament: A Study in the Philosophy of Religion, p. 193.
Les multivers
Cependant, qu’est-ce qui se passe s’il n’y a pas juste un univers mais d’autres, voire énormément d’autres univers parallèles au nôtre, c’est-à-dire si les multivers ou le multivers (l’ensemble des univers) existent ? Que devient alors le scope des AC ? Là encore, Swinburne avait encore tout prévu !
L’univers est le seul univers physique dont nous ayons une connaissance certaine, mais je le définis d’une manière qui n’exclut pas la possibilité logique d’autres univers physiques[[Un autre univers physique serait un objet physique constitué d’objets physiques, reliés spatialement entre eux, mais pas aux objets de notre univers tels que la Terre.]], ou d’objets qui ne font partie d’aucun univers physique (par exemple, Dieu ou un esprit fini, aucun des deux n’étant défini comme un objet physique). [...] Dans l'hypothèse où notre univers physique serait le seul à exister, je formule l’argument cosmologique comme argument prenant cet univers comme point de départ ; cependant s’il existe plus d’un univers, il faudra considérer que l’argument part de tous les univers physiques qui existent (du “multivers” comme on l’appelle parfois, et qui, vu la complexité de notre univers, sera évidemment complexe lui-même).
SWINBURNE, Richard, La probabilité du théisme, pp. 185-186.
Pour résumer, peu importe : si les multivers existent, alors le scope maximal des AC devient les multivers. En fait, on peut simplifier les choses en définissant l’univers dans un sens métaphysique (et non pas scientifique) comme “la totalité de l’espace-temps et de la réalité matérielle”8 (totalité qui contient donc aussi tous les multivers), pour ensuite dire que le plus gros point de départ possible AC est l’univers dans ce sens.
Le plurivers
Comme si cela ne suffisait pas, un philosophe, Michael Almeida affirme que les CA (en tout cas les meilleurs) devraient avoir un scope maximal encore plus grand que les multivers : le plurivers. On va voir ce que ça veut dire.
Les mondes possibles
Pour commencer, partons de l’idée de monde possible en reprenant la définition classique que donne par exemple Lavagna :
Monde possible : un monde possible est une description complète et maximale de la réalité telle qu’elle aurait pu être. Par exemple, il y a un monde possible où je mangerai des céréales demain matin. Il y a aussi un monde possible où je n’existe pas, un monde possible où ce livre n’existe pas, un monde possible où une licorne rose existe, etc. Une chose appartient à au moins un monde possible s’il n’est pas logiquement ou métaphysiquement impossible qu’elle existe.
LAVAGNA, Matthieu, Les travers de la zététique: Réponse à Thomas Durand, p. 55.
Un monde possible, en gros, c’est une manière dont le monde aurait pu être. Or, comme notre monde aurait pu être différent d’une infinité de manières possibles, il existe une infinité de mondes possibles.
C’est une expression que les philosophes contemporains utilisent beaucoup pour définir d’autres notions philosophiques compliquées comme la contingence et la nécessité. Cela permet d’avoir des définitions rigoureuses pour traiter des sujets compliqués comme le déterminisme, le libre-arbitre, les arguments ontologiques et les arguments de la contingence leibniziens.
Le réalisme modal
La plupart des gens et des philosophes voient les mondes possibles comme des mondes “imaginaires” qui n’existent pas vraiment (à part sous forme de pensées dans nos têtes) et qui sont utiles pour réfléchir. Mais Almeida affirme que tous les mondes possibles existent vraiment ! Que ce sont des univers parallèles vraiment physiques avec de l’espace et du temps.
Ce qui est incroyable, c’est qu’il ne dit pas juste qu’il existe dans notre monde des univers parallèles au nôtre, sinon il dirait juste la même chose qu’un certain nombre de physiciens qui croient en l’existence des multivers (ce qu’on a déjà vu auparavant). C’est qu’il dit que les mondes possibles existent tous : absolument tous les univers parallèles qu’on peut imaginer existent sans exception ! Selon lui, il est nécessaire que tout existe. Ou dit avec les mots du théiste, il est nécessaire pour Dieu de créer tous les univers possibles et inimaginables.
En termes plus techniques, Almeida adhère au réalisme modal (= “Tous les mondes possibles autant que celui dans lequel on se trouve et qu’on appelle le monde actuel.”) dont le plus grand et fameux défenseur est David Lewis :
Genuine modal realism is the view that possible worlds are concrete sums of spatiotemporally related concrete parts. Possible worlds are not maximal states of affairs or properties. Possible worlds are not maximal sets of propositions. Possible worlds are not even maximal concrete facts. Possible worlds are composite concrete objects. Possible worlds are concrete mereological sums – and not maximal states of affairs or maximal propositions – so multiple concrete possible worlds can coexist. This is not equivalent to the multiverse idea of many universes existing in a single possible world. Instead, we have many concrete possible worlds coexisting.
According to theistic modal realism, all possible worlds coexist. Indeed, all possible worlds necessarily coexist. The collection of all possible worlds is the pluriverse or the totality of metaphysical space.
ALMEIDA, Michael, Cosmological Arguments (Cambridge Elements : Elements in the Philosophy of Religion, (dir.) Yujin Nagasawa), p. 75.
La page Wikipédia résume très bien ce que j’ai dit :
En logique philosophique, le réalisme modal est l'hypothèse métaphysique, proposée initialement par David Lewis, selon laquelle toute description de la façon dont le monde aurait pu être est la description de la façon dont un autre monde est, véritablement, et parallèlement au nôtre. Les mondes alternatifs à celui dans lequel nous vivons ont le même degré de réalité que notre monde, le monde dit « réel » ou « actuel », mais ils nous sont inaccessibles pour des raisons de principe.
Wikipedia, Réalisme modal.
On peut opposer le réalisme modal à ce qu’Almeida appelle le réalisme actuel (je n’ai pas trouvé cette expression répandue dans la littérature), c’est-à-dire penser que seul le monde actuel (c’est-à-dire le nôtre) existe vraiment.
Selon lui, le réalisme modal accompagné par le théisme est la seule solution aux problèmes classiques de la philosophie et de la métaphysique (en particulier en rapport avec Dieu et le théisme) : l’effondrement modal (modal collapse) et le problème du libre-arbitre (au sens libertarien de capacité de choisir entre plusieurs alternatives) par exemple.
Arguments cosmologiques, réalisme modal et plurivers
Maintenant qu’on a défini les mondes possibles et le réalisme modal, revenons-en aux AC. Après avoir défendu son réalisme modal Almeida en conclut que le meilleur AC devrait avoir pour scope maximal non pas notre monde, c’est-à-dire ce qui existe réellement/actuellement (soit l’univers si le nôtre est le seul qui existe, soit les multivers s’ils existent), mais l’ensemble de tous les univers possibles et inimaginables (l’ensemble de tous les mondes possibles), c’est-à-dire le plurivers. Un tel AC (basé sur le réalisme modal théiste) est le plus puissant de tous car c’est le seul à donner à la fois une explication absolue qui ne laisse absolument rien d’inexpliqué, aucun fait brut (les autres AC permettent au mieux une explication complète) et à éviter les problèmes mentionnés juste avant.
Voici l’explication d’Almeida :
Genuine modal realism – more specifically theistic modal realism – is a less well-understood, and less well-received, view on the nature of metaphysical reality. According to theistic modal realism, the totality of metaphysical reality is a concrete pluriverse. The concrete pluriverse includes every possible world – all actualia and all possibilia. Possible worlds are spatiotemporally isolated aggregates of world-bound individuals. The explananda of genuine modal realism is far more expansive than the Explananda of actualist realism. The explananda of genuine modal realism includes every possible world and every part of every possible world.
According to theistic modal realism, there is an absolute explanation of the entire pluriverse. Every possible world and everything in every possible world is absolutely explicable. Theistic modal realism does not generate the problems of modal fatalism, modal imagination, libertarian free will, lawless worlds, or indeterministic quantum effects. Theistic modal realism, in fact, provides us with the most powerful and least objectionable version of the cosmological argument available.
(ALMEIDA, Michael, Cosmological Arguments (Cambridge Elements : Elements in the Philosophy of Religion, (dir.) Yujin Nagasawa), p. 7.)
Pour conclure, théoriquement parlant, le scope maximal des AC est donc le plurivers (l’ensemble de tous les mondes possibles et inimaginables). Bien sûr, ce ne sera pas le cas si le réalisme modal est faux, de même que ce n’est pas l’ensemble des multivers si ces derniers n’existent pas.
VI. Différences entre les arguments cosmologiques et les autres types d’arguments théistes (téléologiques, ontologiques et moraux)
A. Arguments cosmologiques et arguments ontologiques
Les arguments ontologiques (notons-les AO) en faveur de l’existence de Dieu sont ceux qui prennent pour point de départ l’idée abstraite ou la (ou plutôt une) définition de Dieu pour en conclure qu’il existe. Beaucoup de gens pensent que la différence entre les arguments cosmologiques et les arguments ontologiques, c’est que les premiers sont a posteriori (car partent d’une expérience sensible du monde) alors que les seconds sont a priori :
The cosmological argument for the existence of God begins with a posteriori arguments from the nature of the world, in contrast to the ontological argument, which begins with an a priori analysis of a concept, namely that of God [...] The cosmological argument and teleological argument begin from our experience of the everyday world, and draw inferences from these data and observations to seek to establish the reasonableness of the belief that God exists. This is an a posteriori argument. By contrast, the ontological argument for the existence of God begins from the very concept of God as God, and seeks to show that by internal logical necessity this concept carries with it divine existence or Being. This is an a priori argument.
THISELTON, Anthony, A Concise Encyclopedia of the Philosophy of Religion, p. 16 ; 51.
Arguments for the existence of God are commonly divided into a posteriori arguments and a priori arguments. An a posteriori argument depends on a principle or premise that can be known only by means of our experience of the world. The premise or principle in question may assert nothing more than that certain things exist that have been caused to exist by other things. Or it may assert something as complicated as that the world contains a large number of things whose parts are so arranged that, under proper conditions, they work together to achieve a certain end. An a priori argument, on the other hand, purports to rest on principles all of which can be known independently of our experience of the world, by just reflecting on and understanding them. Of the three major theistic arguments—the Cosmological, Teleological, and Ontological—only the last is an a priori argument; the Cosmological Argument and the Teleological Argument are a posteriori arguments.
ROWE, William L., The Cosmological Argument, p. 3.
Mais on a vu que bien qu’il y ait des AC a posteriori, qu’il y avait aussi des AC a priori. Donc c’est faux, la distinction a posteriori et a priori ne peut pas être la différence entre les deux.
Par contre, on peut remarquer qu’alors que les AO partent de Dieu (une définition de lui), les AC partent d’une autre chose que Dieu, un objet fini : moi, d’autres choses que moi, l’univers, les multivers ou le plurivers. Même les AC a priori qui partent de ma propre existence (“J’existe.”) partent de quelque chose d’autre que Dieu et sont donc très différents des AO. C’est donc ça la différence fondamentale.
On peut dire autrement les choses comme ça : les AC contiennent toujours une prémisse existentielle (ils disent que quelque chose existe), ce que l’AO ne suppose aucunement :
Unlike the ontological argument, the cosmological argument always contains an existential premiss, that is, it asserts that something exists.
CRAIG, William Lane, The Cosmological Argument from Plato to Leibniz, p. x.
A cause de leur point de départ, les AC et les AO ont différents avantages et inconvénients. Comme les AO partent directement de la définition de Dieu, si on accepte l’argument, il sera facile d’obtenir directement une grande partie des attributs de Dieu. Par contre, l’idée de pouvoir arriver à l’existence de Dieu seulement à partir d’un concept abstrait (ici l’idée de Dieu) est hautement controversé et sera au moins compliqué à défendre. Quant aux AC, leur point de départ est assez peu controversé et donc assez pratique : même si l’opposant refuse de reconnaître la réalité d’un tout comme l’univers, on peut lui proposer de partir de n’importe quel objet fini. Par contre, les choses se corseront quand on voudra prouver que le point d’arrivé des AC possède bien les attributs de Dieu (l’étape d’identification) :
It seems that the cosmological argument, even if it can prove the existence of something, cannot prove without the aid of further premises that this ‘something’ is God. The difficulty is thus, so to speak, the reverse of that found in the ontological argument; for this, even if it may have a more adequate conception of God, is unable to prove the existence of anything.
PATON, H. J., The Modern Predicament: A Study in the Philosophy of Religion, p. 193.
B. Arguments cosmologiques et arguments téléologiques
Les arguments téléologiques (notons-les AT) en faveur de l’existence de Dieu sont ceux qui prennent pour point de départ quelque chose de “bien fait” (les beaux paysages, les beaux animaux, l’ordre de la nature, le réglage fin de l’univers, etc.), en langage plus technique la finalité dans notre monde pour en conclure que Dieu existe.
Il y a une confusion possible entre les deux quand on définit (certes à tort) les AC comme partant de l’existence de l’univers. En effet, certains AT partent également de l’univers tout entier, par exemple l’argument du réglage fin de l’univers (fine-tuning en anglais) qui dit que le fait que l’univers soit précisément réglé pour permettre la vie pointe vers l’existence d’un designer. Du coup en quoi l’argument du fine-tuning n’est pas un AC ?
Mauvaise différence : les AC sont déductifs alors que les AT sont inductifs
Second, the Teleological Argument is an inductive argument; its premises, if true, may lend considerable support to its conclusion, but do not demonstrate or establish its truth. The Cosmological Argument, on the other hand, is a deductive argument; its premises, if true, may establish the truth of its conclusion.
ROWE, William L., The Cosmological Argument, p. 4.
D’après Rowe, les AC sont déductifs (prouvent leur conclusion avec certitude) alors que les AT sont inductifs (prouvent leur conclusion seulement avec une certaine probabilité). Il est certes vrai que beaucoup d’AC sont déductifs (en gros la plupart des AC jusqu’au XXème siècle). Mais il en existe aussi d’autres qui sont inductifs, ou même abductifs[[RASMUSSEN, Joshua & LEON, Felipe, Is God the Best Explanation of Things ?, pp. 8-13.]]. Donc ce critère ne suffit pas : à la fois certains AC et quasiment tous les AT sont inductifs.
Les vraies différences
La différence principale : le type des caractéristiques étudiées
La principale différence entre les AC et les AT, c’est que chacun des deux étudie un type de caractéristiques différentes. Les AC s’intéressent comme je l’ai écrit au-dessus à des caractéristiques générales, vagues, fondamentales, abstraites et neutres liées à l’imperfection/la finitude/la dépendance des choses. A contrario, les AT s’intéressent plutôt à des caractéristiques spécifiques/particulières, précises, concrètes et “non-neutres” liées à la bonne qualité (bonté dans un sens amoral) des choses comme la finalité et l’ordre.
On retrouve cette distinction chez plusieurs auteurs :
The cosmological proof, as an argument from imperfection, must also be contrasted with the argument from design. The argument from design too rests on experience, but on a more rich and diversified experience—on experience of perfections in the world. An inference may be made, for example, from the perfection of living creatures to the perfection of their designer or creator. Such an inference rests on a particular experience of some objects in the world, not on a general experience of finite objects as such; and the perfection from which it argues is a special kind of perfection—the perfect adaptation of organs to what is supposed to be their purpose.
PATON, H. J., The Modern Predicament: A Study in the Philosophy of Religion, p. 193.
Si les arguments téléologiques s’appuient aussi sur l’univers, ce sont des caractéristiques plus précises, telles que son ordre ou sa finalité, qui les intéressent.
MASSON, Alexis, “Les arguments cosmologiques : Dieu comme cause de l’univers”, in JAEGER, Lydia (dir.), La science est pour Dieu. Nouveaux arguments scientifiques pour la foi, p. 39.
Among the differences between the two a posteriori arguments, the Cosmological and the ‘Teleological, three are worth noting. First, the fact about the world from which the Teleological Argument begins is vastly more complicated and, therefore, more difficult to establish by experience than is the fact from which the Cosmological Argument proceeds. The Cosmological Argument generally concerns itself with some simple fact such as that there are things that are being changed by other things, or that there are things that owe their existence to other things. The Teleological Argument, however, begins by claiming that the world itself is like a machine or, at least, that many things in the world such as animals, plants, etc., are machine-like in that their parts are so ordered as to work together to serve a certain end.
ROWE, William L., The Cosmological Argument, p. 4.
Here a somewhat arbitrary and hazy boundary is drawn between the cosmological and teleological arguments, the latter also seeking a cause of the world's being a cosmos, but with the emphasis on order, design, and the adaptation of means to ends.
CRAIG, William Lane, The Cosmological Argument from Plato to Leibniz, p. xi.
At least roughly, we might suppose that cosmological arguments advert to very general structural features of the universe and/or our ways of conceptualising the universe, whereas teleological arguments advert to more particular functional features of the universe and/or our ways of conceptualising the universe.
Oppy Graham, Arguing about Gods, New York : Cambridge University Press, 2006, 449 p, p. 97.
Le philosophie athée J. H. Sobel ajoute comme différences que les AC partent de caractéristiques anodines et proposent des explications extraordinaires (c’est-à-dire globales/exhaustives ou au moins à grande échelle de la réalité) tandis qu’a contrario, les AT partent de caractéristiques frappantes et étonnantes, et proposent des explications ordinaires (analogues à celles de la vie de tous les jours, dans la justice et en science) :
Teleological and cosmological arguments. They are both from facts to explanations, but different facts, to very different kinds of explanations, and reached by different kinds of inference.
Sobel Jordan Howard, Logic and Theism: Arguments For and Against Beliefs in God, Cambridge : Cambridge Univ. Press, 2009, 652 p, p. 242.
Voici enfin un extrait d’Alexander Pruss assez détaillé que vous pouvez aussi prendre comme un avant-goût des articles à venir ;) :
These arguments (cosmological and design arguments) begin with commonplace facts about the world and then, by appeal to principles that look plausible, establish the existence of a being who, while not shown to have all of God's essential properties, properties that God must have to exist, is at least a close cousin of the God of traditional Western theism. [...]
Each of the two arguments begins with a contingent existential fact. A contingent fact is a true proposition that has the possibility of being true and the possibility of being false, in which possibility is understood in the broadly logical or conceptual sense. By extension, a contingent being is one who has both the possibility of existing and the possibility of not existing, with a necessary being not having the possibility of not existing. The arguments differ with respect to the type of existential fact that they select. For design arguments it will be a fact that reports some natural object or process that displays design, purpose, function, order, and the like. It might be the fact that there is life, self-replicating organisms, consciousness, conscience, law-like regularity and simplicity, natural beauty, and apparent religious miracles. In contrast, a cosmological argument's existential fact does not have any of these sorts of valuable features. It might be the fact that there exists a total aggregate of contingent beings (the universe), or maybe that there exists at least one contingent being, or that one object depends on another for its existence.
The two types of argument also differ in the way they go from their initial contingent existential fact to the existence of a supernatural God-like being who is the cause of this fact. A cosmological argument, typically, demands a cause of this fact in the name of the principle of sufficient reason (hereafter PSR), which is suitably tailored so that every fact of this kind actually has an explanation. This is followed by an explanatory argument to show that the only possible explanation for this fact is in terms of the intentional actions of a God-like being. Thus, a cosmological argument standardly has the following three components :
A contingent value-neutral existential fact
A version of PSR that requires that every fact of this kind has an explanation
An explanatory argument to show that the only possible explanation of this fact is in terms of the intentional actions of a supernatural, God-like being”
In contrast, the typical design argument does not demand an explanation for the initial contingent existential fact on the basis of some version of the PSR but instead employs principles of inductive reasoning to infer that it is highly probable that this fact is caused by a supernatural, God-like being. These principles might involve principles of analogical reasoning or abductive inference (inference to the best explanation). Thus, the typical design argument has the following three components :
1′. A contingent valuable existential fact
2′. Some principle of inductive reasoning end
3′. An explanatory argument to show that the probable explanation of this fact is in terms of the intentional actions of a supernatural, God-like being
It is important to stress that these components comprise only the typical design argument, for there are versions of the design argument that do not employ 2′ and 3′. Some design arguments do not induce but instead deduce from the fact reporting some occurrence of natural design that there is a supernatural designer-creator of this occurrence, it supposedly being an analytic truth that something displaying design or purpose must have a designer or purposer. This does not make for an effective argument, as its opponents will be within their rights to charge its existential fact component with begging the question. There are Thomistic-type design arguments that also attempt to deduce the theistic conclusion from the initial existential fact but do not appeal to this trivializing analytic truth but instead some high-level metaphysical principle requiring that there be as much reality in the cause as in the effect.
PRUSS, Alexander R. & GALE, Richard M., "Cosmological and Design Arguments" in WAINWRIGHT, William J. (dir.), The Oxford Handbook of Philosophy of Religion, pp 116-137.
Autre différence : la puissance des arguments
Finally, the Teleological Argument does not purport to be a complete argument for the existence of the theistic God. At best it may render it probable that the cause of the world has a high degree of intelligence and power. But that the cause of the world is infinitely powerful and intelligent, all-knowing, all-good, etc., lies beyond the scope of the Teleological Argument to establish or even render highly probable. The Cosmological Argument, however, like the Ontological Argument, purports to be a complete argument for the existence of the theistic God; it purports to establish the existence of a being and its possession of the attributes—omnipotence, omniscience, goodness, etc——commonly associated with the theistic concept of God.
ROWE, William L., The Cosmological Argument, p. 4.
Rowe a en gros raison de dire que les AC sont plus “puissants” que les AT dans le sens où quasiment tous les AT (hormis peut-être la cinquième voie de Thomas d’Aquin) n’arrivent qu’à prouver sans certitude mais avec probabilité un nombre très limité d’attributs de Dieu : son intelligence, sa volonté, sa puissance. C’est pour ça qu’on combine souvent les AT à d’autres arguments qui viendront compléter les autres attributs comme les AC, les arguments moraux, les arguments basés sur l’expérience religieuse, etc.
De l’autre côté, les AC, étant pour beaucoup déductifs (mais encore une fois pas tous !) arrivent à prouver beaucoup plus d’attributs (en tout cas c’est traditionnellement la force qu’on leur accordait) : la puissance/omnipotence, l’aséité/l’indépendance, l’éternité, l’omniscience, l’immuabilité, l’immatérialité, l’intelligence, la volonté, la bonté, etc. Même s’il est devenu aussi courant pour eux de les inclure dans tout un gros arsenal d’arguments de tout genre, ils sont théoriquement suffisants pour arriver à une image assez ressemblante du Dieu des monothéismes.
Rob Koons explique comment les AC et les AT peuvent se compléter. Les AC aident les AT à résoudre le problème de la régression à l’infini (une suite infinie de designers) tandis que les AT aident les AC à prouver que le fondement de toute réalité est un être intelligent :
There is an interdepency between the cosmological argument (the argument to a first cause) and the design argument (the argument to a cosmic designer/creator). The two arguments are much stronger in tandem than they are when taken individually. We will look at this in more detail when we consider the design argument, but I want to foreshadow that discussion before launching into the cosmological argument.
If the cosmological argument is successful, it provides the means for answering certain important objections to the design argument. For example, a common and serious objection to the design argument is the threat of an infinite regress. The world is highly organized, so we infer a designer. But, every intelligent designer we know (i.e., human beings) are themselves highly organized systems. So, it seems that we need to infer a designer of the designer, and so on to infinity. Apparently, we haven't gained anything, so we should stop at the first step, and assume that the cosmos has no designer.
The cosmological argument, if successful, provides a powerful reply to this objection. The cosmological argument tells us that there is an uncaused first cause of the world. If the world bears the signs of intelligence, it is reasonable to attribute intelligence to the first cause. There is no threat of infinite regress, because we know that the first cause is uncaused. It provides the natural stopping point.
Secondly, the results of the cosmological and design arguments are complementary. As we shall see, the cosmological argument gives us good reason to infer that the first cause has such characteristics as eternity, infinity, unity and necessity. It gives us much weaker reasons, if any, for thinking that the first cause is personal, intelligent or purposeful. In contrast, the design argument gives us good reason to attribute intelligence and purpose to the creator, but it gives us little reason for assuming that the creator is eternal or infinite. Each argument tends to make up the deficiencies of the other.
Koons Robert C., « LECTURE #2: Introduction to the Cosmological Argument », leaderu.com/offices/koons, https://www.leaderu.com/offices/koons/docs/lec2.html.
C. Arguments cosmologiques et arguments moraux
La différence est immédiate : les arguments moraux prennent pour point de départ des choses (souvent des actions plus précisément) bonnes et mauvaises, donc porteuses de valeur et qui ne sont donc pas neutres comme les caractéristiques qu’étudient les AC.
VII. Les prétentions des arguments cosmologiques
Je vous renvoie à la section précédente Autre différence : la puissance des arguments où j’aborde au passage la puissance des AC en les comparant à celle des AT.
VIII. Dernière confusion à éviter : les arguments cosmologiques étudient quelque chose de plus profond que la cosmologie en physique
Attention à une dernière erreur : ce n’est pas parce qu’il y a cosmologique dans AC que ces derniers traitent de cosmologie (un domaine de la physique). Les AC vont bien au-delà de ce que la science (au sens courant de “sciences mathématisées” comme la physique, l’astronomie) étudie. Y compris ceux qui font appel à des résultats scientifiques comme le kalam. Ils rentrent dans le domaine de la philosophie, et plus spécifiquement de la métaphysique, en gros la discipline de la philosophie qui étudie les réalités ultimes de notre monde, donc qui ne se limitent pas forcément à la matière.
Paul Clavier explique très bien ce point (ne pas mélanger métaphysique, sujet des AC avec la cosmologie, un sujet scientifique) :
La cosmologie est une discipline aujourd’hui rattachée à la physique. Elle étudie la structure et l’évolution de l’univers. Au contraire, la preuve cosmologique ou, comme on l’appelle plus souvent, l’argument cosmologique, n’implique pas de considérations physiciennes sur l’univers. Tout ce qui importe, dans cet argument, c’est que le monde puisse être considéré comme “contingent”. [...] Or, la question de savoir si le monde est contingent, c’est-à-dire s’il aurait pu ne pas exister, n’est pas une question de physique. La contingence est peut-être une propriété du monde physique, mais ce n’est pas une propriété physique du monde. A l’heure où l’on mélange allègrement les questions scientifiques avec les interrogations métaphysiques, il vaut la peine de les distinguer. Quel est l’âge de l’univers ? Est-il pourvu ou non d’une “singularité initiale” ? A quoi aurait-il ressembler avec d’autres constantes fondamentales ? Ce sont des questions de physique. L’univers existe-t-il par lui-même, ou son existence dépend-elle de quelque chose d’autre ? Aurait-il pu ne pas exister ? Ce sont des interrogations métaphysiques. On peut, bien sûr, les trouver stériles. Mais elles ne relèvent pas de l’investigation des sciences de la nature. L’argument “cosmologique” ne relève donc pas de la cosmologie.
C’est Kant qui a rebaptisé “preuve cosmologique” l’argument de la contingence. Selon lui, cette preuve prend “pour point de départ une expérience indéterminée, c’est-à-dire une existence quelconque”, et “puisque l’objet de toute expérience possible s’appelle monde [en grec cosmos], on l’appelle pour cette raison preuve cosmologique”. Kant souligne que l’argument “fait abstraction de toute propriété particulière des objets de l’expérience”. Le “cosmos” dont il est question dans la preuve cosmologique, c’est bien “le monde” ou la réalité en général, et pas spécifiquement l’univers des astrophysiciens. [...] L’argument a donc bien quelque chose de cosmologique, mais pas au sens de la cosmologie physique.
CLAVIER, Paul, Les avatars de la preuve cosmologique. Essai sur l’argument de la contingence, pp. 7-8.
Frédéric Guillaud au sujet du kalam quand il utilise les données de la physique comme le Big Bang :
Ce n’est pas la science qui “prouve l’existence de Dieu”, comme on le dit abusivement, mais la métaphysique qui s’en sert, comme d’un point de départ, d’un constat opéré par la science. Le métaphysicien s’appuie sur un fait empirique, et tire une conclusion qui n’appartient pas à la science mais à la philosophie.
GUILLAUD, Frédéric, Dieu existe. Arguments philosophiques, Paris : Les Editions du Cerf, 2013, p. 262.
Bibliographie
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GUILLAUD, Frédéric, Dieu existe. Arguments philosophiques.
JAEGER, Lydia, “L’argument cosmologique” in JAEGER, Lydia & NISUS, Alain (dir.), Une foi des arguments. Apologétique pour tous.
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THISELTON, Anthony, A Concise Encyclopedia of the Philosophy of Religion.
J’utiliserai bien sûr la même abréviation pour l’expression au singulier et de même pour les suivantes.
Beaucoup de gros livres là-dessus sont au départ des mémoires de maîtrise ou des thèses de doctorat en philosophie de la religion.
Qui est sous-entendu Dieu après une analyse conceptuelle de cette cause.
C’est un des mots utilisés dans le Nouveau Testament pour parler du monde.
C’est notamment le mot utilisé par l’Evangile de Jean (Jean 1,1) pour parler du Christ comme la Parole qui était Dieu et qui était avec Dieu.
JAEGER, Lydia, “L’argument cosmologique” in JAEGER, Lydia & NISUS, Alain (dir.), Une foi des arguments. Apologétique pour tous, p. 216.
Je ne dis pas toutes car certaines comme celle d’Edward Feser dans son Five Proofs of the Existence of God y font intervenir l’existence.
LAVAGNA, Matthieu, Les travers de la zététique: Réponse à Thomas Durand, p. 41. Il reprend sûrement la définition ressemblante de Frédéric Guillaud de l’univers comme “la totalité de la réalité matérielle” dans Guillaud Frédéric, « Ab initio de nihilo : un essai de formulation de l’argument cosmologique », 2019, p. 1.